Technologies et ville-métabolisme

  • Publié le 15 octobre 2022
  • Emerging Leaders
  • 7 minutes

La notion de métabolisme urbain peut être approchée de plusieurs manières. D’un point de vue quantitatif, en considérant les flux ; du point de vue de l’écologie politique, en considérant les facteurs sociaux ; et du point de vue de la conception urbaine, en considérant la somme entrelacée des écosystèmes environnementaux et sociaux au-delà des frontières administratives. Dans chacune de ces approches, les technologies urbaines et la disponibilité de la donnée offrent des perspectives enthousiasmantes.

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Les approches quantitatives du métabolisme

D’un point de vue quantitatif, le métabolisme urbain peut se définir comme « la somme des processus techniques et socio-économiques qui ont lieu dans les villes et qui débouchent sur de la croissance, de la production d’énergie et l’élimination de déchets » (Kennedy et coll., 2007).

Les premières études s’intéressant au métabolisme urbain consistaient en des exercices comptables de calcul de stocks, flux entrants et flux sortants totaux d’eau, de matières, de nutriments et de déchets de villes spécifiques. La discussion portait ainsi assez peu sur la manière dont les aspects spatiaux de la ville (par exemple sa densité, l’occupation des sols, la proximité et l’accessibilité) pouvaient affecter la localisation de ces flux.

La démarche du métabolisme urbain a continué à se développer et la manière d’appréhender les villes a évolué, aboutissant à une diversité d’approches spatiales, notamment la cartographie des stocks et des flux sur une échelle plus détaillée (celle des bâtiments par exemple) ou encore le calcul de l’empreinte écologique des villes. Le fait de cartographier les stocks nous a permis de connaître la localisation et la quantité de matières disponibles dans la ville, dans les bâtiments que nous habitons et dans les produits que nous possédons. Alors que s’esquisse un avenir caractérisé par une raréfaction croissante des ressources, ce type d’information peut nous aider à situer et réutiliser des matériaux existants incorporés dans nos villes, réduisant ainsi notre impact sur l’environnement et notre dépendance envers des pays tiers pour nos matières premières. On retrouve ce type d’approche dans les cartographies de stocks de matériaux de construction (Stephan et Athanassiadis, 2017) (Tanikawa et coll., 2015). Réalisées sur la base de données géolocalisées sur des bâtiments d’une ville, elles estiment la quantité de matériaux disponibles dans chaque bâtiment en fonction de sa hauteur, de son âge et de sa fonction. Le résultat permet de visualiser la disponibilité en matériaux dans différents endroits d’une ville, d’une région ou même d’un pays, comme on le voit ci-dessous.

Carte montrant la disponibilité potentielle en cuivre incorporée dans les bâtiments d’Amsterdam, réalisée dans le cadre du projet commun de recherche « Prospecting the Urban Mine in Amsterdam », associant TU Delft, Waag Society, CML Leiden University et Metabolic

La cartographie de flux (correspondant à la carte ci-dessous) s’intéresse quant à elle à la visualisation de flux de matières à travers une ville ou une région. Des données géolocalisées sur les déchets ou des tableaux d’entrées-sorties sont ainsi représentés sous forme de cartes pouvant être mises à profit par les pouvoirs publics pour identifier où se concentrent les flux de matières, ainsi que pour connaître la localisation et les distances parcourues par les matières entrantes et sortantes de leur territoire.

Carte des flux de déchets entrants et sortants d’Amsterdam permettant d’assurer le suivi de l’économie circulaire de la ville, réalisée par geoFluxus. Les différentes couleurs représentent des catégories de déchets classés selon la nomenclature des déchets européenne.

La perspective quantitative sur le métabolisme urbain peut exploiter les technologies urbaines de nombreuses manières, d’autant que celles-ci ont permis une plus grande disponibilité de données de localisation sur les matières. Par exemple, les données cadastrales, qui enregistrent des informations détaillées sur le bâti au sein d’une ville (et notamment la hauteur des bâtiments, leur âge et leur fonction), peuvent être utilisées pour estimer la disponibilité de matières premières au sein d’une ville de manière très précise. Les données sur les déchets, collectées par l’administration pour faire un suivi des impacts environnementaux, peuvent comporter des informations additionnelles ayant trait à la localisation, telles que les adresses de sociétés générant, traitant ou réutilisant des déchets, permettant d’aboutir à une cartographie et une analyse fine des flux de déchets.

Un défi majeur se pose pour le métabolisme urbain quantitatif concernant la disponibilité et la qualité de données géolocalisées sur les flux de matières. Souvent indisponibles même dans les pays les plus développés (tels que les Pays-Bas), elles accusent différentes limites (Sileryte et coll., 2022). Une solution technique consisterait à utiliser des méthodes d’apprentissage automatique appliquées à la reconnaissance d’images pour analyser de l’imagerie satellitaire ou issue de Google Street View afin d’améliorer la précision des données sur les matériaux.

L’écologie politique comme approche du métabolisme

L’écologie politique de la ville ajoute une dimension sociale à notre compréhension du métabolisme urbain en s’interrogeant sur « qui produit quelle sorte de configurations socio-écologiques et pour qui » (Swyngedouw, 2006). Elle procède de la conviction que les avancées technologiques et les optimisations de processus métaboliques ne peuvent résoudre seules les défis écologiques actuels.

Cousin et Newell ont par exemple étudié le métabolisme hydrique de Los Angeles afin d’aider la métropole à accroître son approvisionnement en eau et développer sa résilience face au changement climatique. Ils ont commencé par appliquer des techniques quantitatives pour estimer l’empreinte carbone de chacun des approvisionnements en eau existants de la ville. Leur étude a mis en évidence que le système State Water Projects nécessitait des quantités phénoménales d’énergie pour pomper l’eau par-delà les montagnes, tandis que l’aqueduc de Los Angeles n’exigeait quant à lui pas de pompage et donc pas d’électricité. Les chiffres de l’intensité énergétique donnent ainsi à penser que la ville devrait agrandir l’aqueduc de Los Angeles. Mais l’analyse ne s’est pas arrêtée là. Les chercheurs ont ensuite appliqué le cadre d’analyse de l’écologie politique de la ville pour évaluer les impacts du métabolisme urbain au-delà des frontières de la ville. Ils ont alors mis en évidence que la captation d’eau mise en place pour l’aqueduc de Los Angeles entraînait une désertification et des problèmes de santé publique à 400 km de la ville, dans le bassin versant du fleuve. Cette injustice socio-écologique l’emporte largement sur les avantages qui pourraient être générés par l’agrandissement de l’aqueduc et les chercheurs ont donc proposé des alternatives. Ce cas démontre que l’application de l’écologie politique de la ville s’avère nécessaire en complément des méthodes quantitatives pour comprendre l’interaction étroite qui existe entre la ville et son territoire.

Si l’écologie politique de la ville est intrinsèquement qualitative et axée sur les interactions, l’exploitation des nouveaux outils de data science s’avère très utile. De nombreux outils développés à l’origine à des fins de mobilisation politique offrent un fort potentiel de découverte de nouvelles corrélations. Le travail d’identification d’agrégats (ou clustering) dans les données démographiques peut aider les scientifiques à proposer des décompositions des villes en « communautés » (Kahn, 2021). L’analyse des sentiments dans les médias sociaux peut permettre de mesurer les impacts de politiques, se substituant à des enquêtes onéreuses (Drijfhout, 2016). La sociophysique permet de mesurer les comportements en temps réel (Pentland, 2014). L’apprentissage automatique peut classer par ordre d’importance les facteurs de changement métabolique et prédire des changements éventuels (Peponi, 2022). Malgré ces nombreux apports, « les spécialistes de l’écologie politique ont depuis longtemps observé que les approches technocentrées ont fortement tendance à réduire les relations complexes entre humains et environnement sans tenir compte des rapports sociaux et des dynamiques de pouvoir » (Nost, 2022). Pour l’heure, les entretiens restent au cœur de la méthodologie de l’écologie politique de la ville, mais la science des données aidera à poser les bonnes questions aux bonnes personnes.

L’approche du métabolisme par l’urbanisme, l’architecture et le design

La plupart des projets urbains contemporains se structurent à l’échelle locale sans se soucier des impacts macro. Or, nous savons que la ville n’est pas une entité autonome, mais la somme d’écosystèmes environnementaux et sociaux étroitement entrelacés au-delà des frontières administratives. Les urbanistes ne peuvent faire l’impasse sur ces connexions étant donné que « la vitalité des villes repose sur leurs relations spatiales avec leurs territoires environnants et les réseaux mondiaux de ressources » (Kennedy et coll., 2007, p. 56). C’est dans ce cadre que le métabolisme urbain prend tout son sens, nous aidant à « penser en termes de relations et de liens reconstruits entre les strates urbaines, au lieu de l’approche classique consistant à réduire la ville à des axes fonctionnels » (Bahers et coll., 2022, p. 9). Dans l’élaboration de politiques, les frontières administratives définissent souvent les limites de la recherche et de l’analyse du métabolisme urbain. Nous devons faire tomber ces frontières artificielles, car le fait de librement « territorialiser le métabolisme urbain peut révéler les interconnexions et les dépendances entre territoires en matière d’extraction des ressources, d’industrie et de gestion des déchets » (Bahers et coll., 2022, p. 9). Le processus de territorialisation de la circularité peut servir de moyen d’imaginer des scénarios d’avenir et de faire le lien entre discours de recherche, travail de conception et politiques économiques et urbanistiques (Furlan et coll., 2022, p. 46).

Aujourd’hui, le changement climatique, l’expansion urbaine et la croissance démographique mettent les urbanistes et les concepteurs au défi d’innover plus vite que jamais. En conséquence, les processus de conception sont en cours de réinvention par l’IA et les technologies urbaines. Sur le plan politique, on observe des innovations telles que Réinventer Paris ou l’Algorithmic Register qui remettent en question le processus de planification traditionnel. En matière de planification, la conception assistée par IA permet désormais la création de bâtiments plus durables avec des projets tels que SpacemakerAI, Delve et One Click CLA. Dans la phase de construction, de nouveaux matériaux permettent d’espérer une réduction de l’empreinte carbone du secteur grâce à la massification du bois ou encore au béton préfabriqué par impression 3D. Dans le fonctionnement urbain, les capteurs connectés assurent un suivi en temps réel de la circulation automobile et des déchets par exemple. Au niveau des consommateurs, nous assistons à l’émergence de projets s’attachant à la réduction de la consommation d’énergie avec des projets tels que la Maison de l’économie circulaire à Berlin (CRCLR House) ou le thermostat Nest. Fermant la boucle, le recyclage est transformé par des innovations telles que des bras robotiques et des lecteurs de code-barres bricolés. Par nature, les technologies engendrent des gains d’efficacité, qui correspondent à ce que nous devons intégrer au sein d’un « métabolisme urbain circulaire ». Ensemble, le design et l’innovation peuvent influencer la demande et améliorer les expériences des consommateurs tout en les rendant plus responsables.

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