Le plastique fait-il peau neuve ?

  • Publié le 15 octobre 2022
  • PCA-STREAM
  • 8 minutes

Grande vedette de la Design Week qui vient de s’achever à Paris, le plastique semble avoir dépassé le désamour dont il était victime. Grâce au recyclage, son empreinte écologique est mieux maîtrisée, devenant un véritable argument de vente. Broyés, fondus, remoulés, les nouveaux plastiques sont-ils le fruit d’une simple tendance ou d’un véritable changement de paradigme ? Car au-delà du matériau lui-même, c’est toute une logique de production qu’il faudrait « recycler » pour s’extraire du dogme du neuf et du jetable.

Enfant chéri de la modernité et matière maudite du XXIe siècle

Depuis 1950, la production mondiale de plastique est passée de 1,5 à 368 millions de tonnes par an. Calculé en 2019, selon le Guide ADEME : Le Paradoxe du plastique en 10 questions. Fabriqué à partir de pétrole brut ou de gaz naturel, le plastique bénéficie d’une malléabilité toute particulière, lui permettant d’être facilement moulé et d’adopter une grande variété de formes via une chaîne de production industrielle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le gain de temps et d’argent dans la fabrication d’objets de première nécessité est colossal et la participation du plastique à l’effort de reconstruction non négligeable. Car au-delà de son aspect matériel, la reconstruction se veut également idéelle et résolument tournée vers l’avenir. Le plastique représente alors la conjonction d’un bouleversement technologique, économique et sociétal. Facile à produire, ce nouveau matériau devient le symbole d’une société de consommation en plein essor, dont la cuisine en Formica tout équipée, facilement nettoyable et disponible sous une déclinaison de couleurs alors inédites, est le parfait reflet.

Mais les temps changent, les femmes s’émancipent et l’imaginaire collectif du futur se reconfigure. L’éveil des consciences écologiques transforme le plastique en polluant majeur des océans, en déchet toxique et en responsable, pour la seule année 2019, de l’émission de 850 millions de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Parlement Européen, Déchets plastiques et recyclage dans l’UE : faits et chiffres, 2021.Une empreinte écologique due à la provenance pétrochimique du matériau mais également à la gestion de ses déchets. Si l’enfouissement (40 à 60% des déchets plastiques en France) entraîne une dégradation des sols et des milieux naturels, l’incinération (13 à 30%) provoque le dégagement de gaz à effets de serre ; révélant que le mode de traitement le plus écologique, le recyclage, est également le moins mobilisé (10 à 15% des déchets plastiques en France). Centre de ressources sur les bilans de gaz à effet de serre ADEME. Qui plus est, la moitié des déchets collectés en Europe à des fins de recyclage est en réalité exportée hors de l’Union européenne afin d’y être traitée, révélant la permanence de logiques post coloniales difficilement acceptables de nos jours.

Les trois formes de déconnexion du plastique

Le plastique cultive ainsi plusieurs formes de déconnexion.
— Une déconnexion territoriale et environnementale : le matériau n’a pas de nationalité, d’identité géographique ou culturelle. Les objets plastiques ont vraisemblablement favorisé la délocalisation de l’industrie européenne, le plastique européen ne se distinguant pas ou peu du « made in China » sur le plan esthétique.
— Une déconnexion se crée également avec la fabrication et le fabricant : l’absence de trace de transformation dans les objets plastiques et de marque de façonnage constitue une mise à distance. On se soucie peu des conditions et de l’endroit dans lesquels a été produit l’objet. Seul compte le produit fini.
— Une dernière déconnexion enfin, celle de l’usage et des usagers, tient au fait que le plastique mobilise l’idée d’un objet neuf et intact. Comme le souligne le collectif Rotor dans sa publication Usus/usuresUsus/Usures, Rotor, 2010 – présentée en 2010 à la 12ème exposition d’architecture internationale de la biennale de Venise, le prix de cette apparence est le remplacement constant de ces objets. Chaque utilisateur prétend au privilège de la primo-altération, celle qui lui est propre et qui ne peut survenir qu’après l’étape du déballage. L’objet est dévalué dès qu’il porte la trace de l’usage d’un « autre ». Plastique se met à rimer avec « jetabilité » d’emballages, Quatre secteurs représentent 75 % de la production européenne de plastique : l’emballage est largement en tête avec 40%, suivi du secteur de la construction avec 20.5 %, de l’automobile avec 8.3 % et de l’électricité / électronique avec 5.4 %. Source : Oceaneye, mais aussi de toute une série d’objets du quotidien et d’éléments de mobilier dont des distributeurs à bas prix favorisent le remplacement à chaque déménagement.

À l’image d’une société consommatrice et coupée de son environnement, le plastique marque un parfait contraste avec le concept japonais du Wabi Sabi. Dans l’esthétique traditionnelle, ce dernier célèbre la fugacité et l’imperfection, l’altération des objets avec l’usage, les déformations créées par l’usure. Historiquement beaucoup d’objets de travail ou de culte prenaient de la valeur avec le temps ; le bois, la pierre, le métal ou encore la céramique qui les constituaient se façonnant avec la patine. Contrairement à ces matériaux qui gagnent en qualité avec l’usage, le plastique s’accommode mal de la marque du temps qui le décolore ou le jaunit, et de l’usure, qui le raye, le poinçonne ou le déforme. Il fige ainsi une forme idéalisée, celle qui succède à son déballage et qui ne porte aucune marque de la manière dont il a été produit.

Le réemploi du plastique, (conservant la forme et l’usage d’un objet sans que celui ne soit de nouveau transformé), est ainsi difficile à mettre en place bien que celui-ci éviterait la production de produits neufs, de gaz à effets de serre et de déchets. Le recyclage apparait donc comme la seule solution de traitement en fin de vie relativement vertueuse, qui soit réplicable à grande échelle. Bien que plus consommateur en énergie que le réemploi (en impliquant broyage, refonte et moulage), ce processus permet de réduire par dix les dégagements de CO2 par rapport à la production de plastique neuf. Mais un engagement et une transparence  À titre d’exemple, la marque Norma édite des lignes de mobilier dont le nom se compose du chiffre indiquant le pourcentage de matière recyclée dans le meuble. Leur engagement les a poussés à réaliser des analyses de cycle de vie détaillées pour chacun de leurs produits, afin d’évaluer leurs impacts environnementaux depuis la collecte des matières premières, jusqu’au traitement en fin de vie des éditeurs sur tout le cycle de vie de leurs objets sont nécessaires pour arriver à des produits réellement circulaires.

Paris Design Week, baromètre des tendances : Recycler oui, mais réparer ?

La Paris Design Week s’est déroulée du 8 au 17 septembre 2022. Le recyclage y était une thématique récurrente en commençant bien souvent par celui du plastiquePlastique PIR (Post Industrial Recycling) issu de la production industrielle et plastique PCR (Post Consumption Recycling produits par exemple par Le Pavé®. Cette semaine a été l’occasion d’observer l’engagement croissant des éditeurs et fabricants (Kartell, Muuto, Vitra…) pour les préoccupations environnementales, symbolisé pour chacun par l’édition d’une ligne de mobilier « responsable », correspondant bien souvent à la réédition d’une de leur ligne dans une matière recyclée.

Cependant, la vertu de ces objets, même issus du recyclage, pose question. Une chaise conçue à partir de capsules de café à usage unique ne permet-elle pas de justifier la création de ce déchet dont la responsabilité du recyclage lui est transférée ? Les éditeurs s’interrogent peu sur les déchets qu’ils récupèrent et les modèles de production qu’ils complètent et même si les gammes de mobilier en plastique recyclé sont théoriquement recyclables, peu de marques proposent la reprise de leur produit en fin de vie Certaines marques proposent d’assumer le devenir de leurs produits : La marque Komut (via se gamme de mobilier en plastique recyclé produit par une imprimante 3D) et Really, (une branche de Kvadrat proposant des produits issus du recyclage de fibres textiles) s’engagent à reprendre leurs objets en fin de vie et à les recycler, révélant un manque d’engagement sur le temps long. Mais le désintérêt pour l’avenir des objets ne s’arrête pas à la fin de leur utilisation et concerne tout le long de leur vie. En effet, la responsabilité du fabricant s’achève souvent à partir du moment où un objet est déballé sans qu’aucun service de réparation ni de remplacement partiel des pièces ne soit proposé. Or l’attention à la fragilité se déploie dans une écologie matérielle et façonne la prise de conscience de la valeur des chosesL’éthique du soin et de la sollicitude – le care – couplée à l’attention portée aux choses et aux objets – le repair et la maintenance, participent d’une nouvelle source de réflexion pour guider le design des villes. Ainsi, les maintenance and repair studies sont un champ prometteur en sociologie des techniques. Elles s’intéressent aux pratiques, métiers, savoirs, dispositifs qui concourent à la pérennité de ce qui nous entoure. En France, Jérôme Denis et David Pontille développent un programme de recherche sur les activités de maintenance urbaines au Centre de Sociologie de l’Innovation des Mines. Ceci suppose que les objets puissent être réparés et qu’ils soient conçus et construits pour l’être, tant dans le choix de leurs matériaux que dans l’assemblage de leurs pièces À titre d’exemple, Tiptoe conçoit des meubles démontables de sorte que chaque pièce puisse être remplacé indépendamment du reste et que chaque matériaux (y compris le plastique recyclé) puisse être réemployé ou recyclé aisément..

Du fait de la mauvaise image dont il pâtit, le plastique apparaît donc comme le premier matériau par lequel s’initie une réflexion sur le recyclage pour bien des marques. La trace de son recyclage étant imperceptible, elle permet aux éditeurs de mobilier de conserver une esthétique, une manière de concevoir et une chaîne de production classiques. Mais le recyclage du plastique n’est pas une démarche réellement frugale tant que le process de transformation ne s’extrait pas de la logique du neuf et d’une idée de la perfection. Au-delà du matériau, un changement de paradigme dans la conception du mobilier se révèle nécessaire en considérant la chaîne de production dans son ensemble, depuis l’approvisionnement en matière première, sa transformation, son transport, en passant par le montage, l’entretien, la rénovation, jusqu’à la fin de vie et la revalorisation supposément infinie de la matière.

 

Laélia Vaulot, Responsable stratégie environnementale chez PCA-STREAM

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Maximiser la réutilisation, minimiser la transformation

Maximum est un studio de design qui valorise au maximum le déchet, pas seulement du point de vue de sa matière mais aussi de sa forme ou de son ingénierie. Certains matériaux sont transformés selon un procédé semi-indiustriel tandis que d’autres donnent naissance à des pièces uniques, comme les parois vitrées de la chenille du Centre Pompidou.

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Géoverres : territoires de la matière

Lucile Viaud est designer et « géoverrière ». À partir de matériaux « rescapés », elle fabrique des objets qui portent en eux l’histoire des territoires dont la matière provient. Ses coquilles d’escargot ou d’ormeaux, ses sables oubliés et ses poussières d’algues sont ceux d’un moment et donnent lieu à des lignes d’objets irréplicables.

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Encourager la matière

Michel Blazy

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Encourager la matière

Impliquer directement le vivant dans l’œuvre ouvre des perspectives de création qui interrogent le statut de l’auteur et de l’artiste. Michel Blazy précise que si la figure de l’homme semble se faire discrète voire s’effacer dans son travail, celle de l’artiste reste bien présente. Il s’agit moins de céder le pouvoir au vivant, de « laisser faire », au risque qu’il ne se passe rien, que de créer des conditions d’émergence, d’encourager la matière à la manière d’un jardinier. L’artiste observe et cherche à comprendre le vivant pour favoriser son développement, de façon à ce que la forme s’auto-génère. Il explore ainsi des modalités de domestication du vivant qui relèvent de la symbiose plutôt que de l’exploitation. La fascination formelle pour le vivant sous-tend une réflexion sur l’intelligence de la survie et les frontières inerte/organique. Vivant et art partageant d’échapper pour une part à la compréhension, l’artiste n’essaie pas de délivrer un message univoque mais de partager une expérience – l’altercation avec la matière au sein l’atelier – et de provoquer la complexité de rencontres.

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