Reportage dans l’Antarctique

  • Publié le 11 janvier 2017
  • Xavier Veilhan

En février 2005, 7 artistes, dont Pierre Huyghe et Xavier Veilhan s’embarquent dans une expédition pour atteindre une île en Antarctique qui n’a pas encore été cartographiée. Les photographies inédites de Xavier Veilhan, réunies ici en journal de bord, rendent compte de ce périple hybride, à mi-chemin entre tourisme et exploration. Au milieu des pingouins et des otaries, habillés de leurs combinaisons étanches fluos, chacun filme et photographie les paysages lunaires d’un continent de glace si longtemps fantasmé.

Xavier Veilhan est un artiste français évoluant entre la sculpture, l’installation, la peinture, la photographie, le film et la performance.

Clément Dirié est historien et critique d’art, commissaire d’exposition et éditeur spécialisé en art contemporain.

Voyage en antarctique ou une plongée dans l’irréel

En février 2005, s’embarquent à bord de la goélette Tara, construite en 1989 par l’explorateur Jean-Louis Étienne, sept artistes dont Xavier Veilhan et Pierre Huyghe, à l’initiative de l’expédition. À la recherche d’une île non répertoriée, dans une zone non cartographiée, cette expédition de 27 jours donne notamment naissance à une documentation photographique abondante et à A Journey That Wasn’t, 2005, un film de Pierre Huyghe, montré lors de plusieurs expositions. Les photographies de Xavier Veilhan réunies ici sont inédites (à l’exception de quelques-unes, publiées dans le livre d’artiste Voyage en Antarctique, Éditions Bookstorming, Paris, 2006). Elles offrent un regard singulier, brut et séquentiel, sur cette expédition. De même que les mots utilisés par l’ensemble des participants de ce voyage en huis-clos se répètent et se superposent sans cesse – comme en témoignent les lectures croisées des différents journaux de bord –, les centaines de photographies de Xavier Veilhan semblent répéter inlassablement ces images blanches où seules les taches de couleur des combinaisons et du matériel rythment un espace irréel, nouveau terrain d’exploration pour les artistes.

Journal visuel, les photographies de Xavier Veilhan donnent vie à cette aventure où nos explorateurs et artistes mettent « le pied sur une autre planète, [… sur] une planète dans une planète » (Pierre Huyghe). Dans son journal de bord, à la date du 8 février juste avant son départ, Xavier Veilhan écrit : « …J’ai préparé ce voyage comme quand je devais prendre le train à 14 ans. J’y ai pensé plusieurs mois à l’avance, dans un plaisir inquiet. Les préparatifs ont complètement effacé l’idée même et le sentiment que j’ai pu avoir pour l’Antarctique avant de m’y préparer précisément. C’est intéressant d’être dans les premiers à ne pas avoir de raison d’aller en Antarctique, après les explorateurs, les militaires et les scientifiques et en même temps que les touristes. Il y a une certaine pression qui vient de ce manque de justification, qui fait en même temps la caractéristique de ce projet. Plus exotique il n’y a que la lune. C’est déjà un voyage formidable avant de l’avoir fait. »

Récit en images de ce voyage hybride, rêvé, entre tourisme et exploration.

C. D.

Bonjour à tous !

C’est comme si notre équipe d’artistes, pas marins pour un rond, devaient voir ce qu’était une tempête ! Depuis notre arrivée, ils
ne cessent de nous demander : « Mais, c’était vraiment une grosse tempête ? C’était plutôt une grosse ou une très très grosse tempête ? » La réponse est du genre : « c’était une tempête à taille humaine, plutôt une grosse tempête, mais on ne parle pas des tempêtes qui dépassent l’entendement, celles qui sont plus que des tempêtes. On a eu force 11-12 sur l’échelle de Beaufort, or 12 est le maxi, ça donne un ordre d’idée ». Chacun raconte son vécu lors de cette tempête, bientôt on croirait entendre des récits de Cap Horniens (que nous sommes d’ailleurs !). Mais Tara est tellement confortable et robuste que de l’intérieur, même si l’on est bien secoué dans la bannette, on ne se rend pas bien compte de ce qui se passe dehors… C’est la direction du vent qui a décidé de notre point d’atterrissage sur la péninsule, après le coup de vent, l’idée a été d’aller au plus court, et c’est ainsi que nous avons atterri aux Pitt Islands. Cet archipel que nous avons essayé d’atteindre lors de l’expé précédente (empêchés
par la présence de glace), est réputé pour les léopards des mers. Nous y arrivons sous la pluie, la visibilité n’est pas des meilleures, mais doucement, nous pénétrons au cœur de ce groupe d’îlots. Pascal,
notre guide Antarctique, qui est déjà venu 15 fois en péninsule sur son voilier Fernande de 22m, me guide dans ce labyrinthe. Pendant l’approche des îles, de nouveau de gros icebergs éblouissent les yeux et les films des caméras. Le temps est gris et nos preneurs d’image sont enchantés, « s’il fait beau, le blanc éblouit tout, c’est tout de suite surexposé, il n’y a aucun contraste et on ne voit pas les reliefs, en plus, ce que veut Pierre dans son film, ce sont des images noires, de brouillard, de vent, de mauvais temps… ».

Dès notre arrivée, vers 20h, Pierre est allé mettre le pied à terre pour se faire une idée, pour prendre contact. « J’ai mis le pied sur une autre planète, c’est incroyable, c’est une planète dans une planète. » Rencontre brève avec 3 léopards des mers qui digèrent sur une plaque de fast ice. Depuis 24 heures que nous sommes en péninsule, nous pouvons dire que nous sommes gâtés pour les images noires, tempête de neige pendant la nuit, brume et neige toute la journée, le pont est recouvert de 10 cm de cette couverture blanche pour la grande joie d’Aleksandra qui s’empresse de faire un magnifique bonhomme grandeur nature. Pierre et une grande partie de l’équipe sont à terre et entame le tournage. Pascal qui les accompagne revient enchanté, il essaie de m’expliquer la manière inhabituelle de filmer, ce besoin de mettre des couleurs pour donner des dimensions, de placer des personnages dans le décor dans le même but. Une chance ce matin, un minimum de 40 otaries n’a cessé de monter sur la glace, plonger et jouer dans la neige. Pascal avoue ne jamais avoir vu un tel ballet auparavant.

Aleksandra essaie de comprendre ce que Pascal vient rechercher ici, « la beauté des paysages, la surprise de découvrir toujours quelque chose de nouveau… » Are you an addict ? D’abord, il répond « non », mais à la fin de son explication, la réponse est « oui » ! L’Antarctique est une drogue ! Pour clôturer la journée, tour en zodiac pour filmer le bateau dans cette ambiance de brume et de vent. J’attends que la météo soit meilleure pour sortir du labyrinthe…

Céline
Capitaine de l’expédition

Journal de bord de Xavier Veilhan
14 février

« Les otaries s’amusent devant un gigantesque tabulaire puis d’autres plus petits. Nous apercevons la terre dans la brume. Nous tentons de trouver un mouillage dans une baie plus abritée dont Pascal connaît les passages et les îles. Nous passons devant quelques manchots (les premiers pour moi) puis j’aperçois au loin sur la côte deux points quasiment lumineux. Ce sont apparemment des défenses ou des bouées échappées d’un bateau, et qui ont échoué ici. Dans le fond d’une baie, le bateau monte sur des fast ice, sans perturber pour autant les quelques phoques crabiers couchés là. Le temps est très gris, la lumière semble émaner de la glace et des dômes de neige. Il fait zéro, pourtant la pluie persiste comme l’impression de l’irréel. Au moment où nous décidons de mouiller là, les dérives heurtent un rocher dans un bruit sinistre. Nous devons changer d’endroit.
Juste après, nous sommes finalement installés dans la baie. On nous propose d’aller en Zodiac à terre. Habillés de combinaisons étanches du bord, Pierre, Renaud et moi partons accompagnés de Pascal. Les otaries nous accueillent sur la plage qui fait face à une montagne de glace de trente mètres de haut. Je suis sous le choc de la simplicité et de la beauté des éléments : mer gris foncé, ciel gris clair, neige et glace surexposés, animaux abandonnés qui se détachent des pierres par leurs seuls mouvements. Au loin, nous apercevons les deux mats de Tara dans la brume. C’est un choc d’être à terre, difficile de croire que nous sommes en Antarctique, nous nous regardons incrédules. »

Cet article a été publié dans Stream 01 en 2008

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L’année 1972 marque probablement un tournant dans l’histoire de l’humanité, car avec Blue Marble, photo prise par Apollo 12, cette dernière contemplait pour la première fois de l’extérieur son territoire, achevant le cycle de conquête de la terre initié par la modernité ; mais avec la parution du rapport Meadows, elle réalisait dans le même temps les conséquences néfastes de cette conquête continue. Le géographe Michel Lussault revient sur la révolution urbaine et nous expose combien elle modifie notre façon d’habiter la Terre, le Monde écrit avec un M majuscule, comme pour signifier cette nouvelle condition humaine, avant de proposer, face aux défis de la révolution urbaine, une approche de la ville en termes de spatialités plutôt que d’espaces. Michel Lussault est géographe, professeur à l’ENS de Lyon et président du Conseil supérieur des programmes de l’Éducation nationale. Il est également président du centre d’architecture Arc-en-Rêve à Bordeaux.

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 ce savoir ne s’inscrive dans les catégories disciplinaires existantes ? Nicolas Bourriaud est historien de l’art, critique d’art, théoricien et commissaire d’exposition. Depuis 2016, il assure la direction du futur Montpellier Contemporain (MoCo). Ce texte est issu de GNS (Global Navigation System), catalogue d’exposition proposée par le Palais de Tokyo – Site de création contemporaine, Editions Cercle d’art, Paris, 2003 (p. 118-119).

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