Singularité des choses

  • Publié le 18 novembre 2017
  • Timothy Morton

Alors que la prise de conscience de l’Anthropocène pousse à reconsidérer les relations sujet-objet et humain-nature, l’OOO remet en cause nos modes de perception des objets mais aussi leur nature même. Pour le philosophe Timothy Morton, les choses ne sont pas réductibles au fait d’appartenir à/ou d’avoir des effets sur d’autres choses, mais possèdent une singularité, une existence et valeur propre. Il réfute également que la pensée – les données scientifiques par exemple – constitue un mode d’accès privilégié aux objets, par rapport aux sens par exemple. Traitant les êtres non-humains comme ontologiquement égaux, l’OOO est pour Morton la seule philosophie occidentale incarnant la promesse d’une profonde non-violence envers soi-même et les autres. L’écosystème, cet ensemble de relations entre les créatures, formant lui-même un objet, la question devient la nature de ce système d’interconnexions, qu’il estime être de l’ordre de la symbiose, jeu d’alliance sans domination.

Avec Habiter l’Anthropocène, nous réalisions que nous entrons dans une phase de reconsidération multidisciplinaire des relations entre sujet et objet, humain et nature. Le dilemme collectif de l’Anthropocène l’exige, nous ne pouvons ignorer que nous sommes un tout. Nous essayons maintenant de comprendre les différentes attitudes vis-à-vis du problème, mais aussi les stratégies émergentes pour y faire face. En substance, nous sommes à la recherche d’un endroit duquel considérer le rôle de l’architecture dans ces économies pratiques et psychosociales. Latour dit : « Nous ne devons pas avoir peur de nos monstres », nous devrions accepter que la nature et les systèmes du vivant soient à ce point transformés par la technologie qu’il faudrait aller de l’avant, ne pas avoir peur. Partant de la relation entre l’Ontologie Orientée Objet (OOO) et l’écologie, comment envisagez-vous cette relation et les interactions qui s’y inscrivent ?

Je suis très frappé par cette affirmation de Latour, l’idée qu’il n’y aurait pas de problème puisque la nature a été complètement « technologisée ». Qu’une chose ait été « technologisée » ne signifie pas que le problème a disparu. La question est justement que l’on peut utiliser ce que l’on « technologise » pour nuire à soi-même ou à d’autres êtres. Imaginez que l’on mette au point la flèche parfaite, en platine pur : cela ne fait pas disparaître le problème de tirer sur des gens avec. En ce sens, je ne suis pas du tout accélérationniste. Une telle approche pose un véritable problème, et je pense qu’il faut adopter une perspective beaucoup plus large. C’est une idée bien vague, une sorte de mèmeÉlément de culture qui se transmet par imitation, terme notamment utilisé dans la culture internet pour désigner une idée ou concept simple, souvent humoristique, qui évolue et se propage viralement sur le web., si je peux employer ce mot, que cette façon d’imaginer le monde sans nous. L’ennui, c’est qu’en s’inscrivant dans une telle narration, on prend un point de vue sur ce monde sans nous depuis une subjectivité future complètement impossible. Nous sommes donc toujours un peu là, comme un badaud qui regarderait sadiquement la catastrophe depuis le point de vue du futur.

Par ailleurs, nous sommes à un tel point chimiquement imbriqués avec les processus terrestres – les systèmes terrestres et autres formes de vie –, que si nous disparaissons en tant qu’espèce c’est que tout le reste est également sur le point de disparaître ou a déjà disparu ; le monde sans nous n’a donc rien de formidable. Il y a également cette idée que « vous savez quoi, si notre espèce ou une autre disparaissait, alors Mère Nature, Gaïa ou je ne sais qui n’aura qu’à faire émerger une nouvelle entité pour prendre la place de ce qui a disparu ». C’est un raisonnement absurde, comme si les choses n’étaient que les composantes d’une machine et qu’on pouvait les remplacer comme on change un pneu de voiture.

En ce sens, l’Ontologie Orientée Objet est une pensée qui a la particularité de soutenir que les choses ne sont pas simplement des composantes d’autres choses, mais qu’elles ont une existence et une valeur propre. L’importance des choses n’est pas liée au fait qu’elles fassent partie d’autre chose ou qu’elles aient des effets sur d’autres choses, ni même qu’elles soient composées de matériaux très cool. Une flèche en platine serait meilleure qu’une flèche en bois parce que les atomes de platine sont plus chers ? Ce n’est franchement pas la question. Nous affirmons que l’on ne peut réduire les choses à d’autres choses. Elles sont toutes singulières, au point qu’elles ont une évidence, une présence « dans ta face », pour le dire en argot. Elles sont tellement « dans ta face » qu’il n’est pas possible de les appréhender complètement par l’esprit, de la même façon que l’on ne peut les enserrer complètement de la main ou les envelopper totalement par des habits. En fait, on ne peut les appréhender complètement de quelque manière que ce soit. C’est tout simplement impossible. Qu’est-ce que cela signifie ? Que de penser à quelque chose n’est plus le mode d’accès supérieur : n’importe quel autre mode d’accès est tout aussi bon ou mauvais que la pensée.

Réfléchir à l’objet, l’effleurer d’un pinceau, le lécher, l’ignorer, laisser la poussière s’y déposer… tout cela est aussi valable. Nous vivons dans un monde où la réflexion, l’épistémologie, et le « comment est-ce que je sais que je suis dans le vrai » sont devenus la question fondamentale. Cela s’explique par une interprétation un peu simpliste de Kant. Nous soutenons ainsi que depuis l’époque de Kant, il est devenu impossible de dire que nous pouvons directement pointer vers les choses en elles-mêmes. Nous pouvons pointer soit vers des données, dans le cas du monde scientifique, soit vers des expériences ou des qualités sensuelles, pour les non-scientifiques. Mais il n’y a pas de raison que des données scientifiques soient un meilleur moyen d’accéder à une chose que de l’effleurer du pinceau comme un artiste. Il ne s’agit pas de dénigrer la science, qui fournit des interprétations de données incroyablement précises. C’est la perspective humeénne avancée par Kant, en ce sens qu’Hume a raison de dire que la science consiste en l’interprétation statistique de modèles dans les données. En fait, la science ressemble beaucoup à la critique d’art parce qu’on y observe des motifs et des modèles, pas la réalité. Aucun scientifique ne dira jamais qu’il regarde la réalité, un scientiste à la rigueur, mais il y a une différence énorme entre science et scientisme. Nous ne pouvons donc connaître les choses directement, nous n’avons accès qu’à des données.

Kant donne la raison derrière tout cela : bien qu’il y ait des choses réelles, elles ne deviennent réalité que lorsque quelque chose y accède – et il pense que cela passe par la pensée. C’est le problème du réfrigérateur : on ne peut pas savoir si la lumière est allumée à l’intérieur sans en ouvrir la porte ; et quand on ouvre, on constate que la lumière est allumée, mais on ne peut pas le savoir sans l’ouvrir. Ce que Kant appelle le « sujet transcendantal » est ce qui ouvre le réfrigérateur. Puis sont venus toute une série de successeurs de Kant, avançant différents types d’« ouvreurs de porte de frigo » ou de « décideurs ».

Il y a eu un moment de l’histoire politique américaine où George W. Bush a affirmé : « Je suis le décideur, c’est à moi de décider qui va en Irak ». Mais d’une certaine façon, Hegel dit aussi : « L’Histoire est le décideur concernant la question de savoir si la lumière du réfrigérateur est allumée. L’Histoire ouvre la porte. » Et Nietzsche : « La volonté de puissance ouvre la porte. » Pour Heidegger : « Le Dasein ouvre la porte. » Marx dit quant à lui : « Les relations économiques entre les hommes ouvrent la porte. » Ce que tous ces ouvreurs de porte ont en commun, c’est qu’ils se rapportent toujours à des êtres humains. Il n’y a pas de scarabées ouvreurs de porte. Bien qu’il soit assez probable qu’il existe une vie intelligente extraterrestre, il ne s’agit pas non plus d’une ouvreuse de porte. Les ouvreurs de portes se rapportent toujours par défaut à… roulement de tambour, je vous le donne dans le mille : à nous ! Mais, comme je viens de le dire, le fait est qu’effleurer du pinceau ou lécher sont des modes d’accès tout aussi valables que le fait de penser. L’escargot qui rampe le long de la surface d’un objet est bien en train d’accéder à cet objet, d’une façon tout aussi incomplète : l’escargot est également un ouvreur de frigo.

Il existe une distinction entre ce que Lacan appelle le réel et la réalité, qui est le sentiment de ce qui est réel. Le véritable réel ne peut être appréhendé, au contraire de la réalité, que l’on peut mettre en corrélation avec le réel. Il y a ici un énorme paradoxe dont même Kant a peur, et beaucoup de philosophes davantage encore, qui est que les choses sont exactement ce qu’elles sont mais jamais exactement comme elles apparaissent. L’exemple donné par Kant est celui des gouttes de pluie. Elles nous tombent sur la tête, sont mouillées, éclaboussent et sont en tout point des gouttes d’eau. Il ne s’agit pas de gouttes pour les yeux ou de gouttes de jus de citron mais de gouttes d’eau de pluie. D’un autre côté, aucune donnée caractéristique des gouttes de pluie – leur côté éclaboussant, mouillé, embêtant, agréable… ou encore leur taille ou leur vitesse – n’est la goutte de pluie. Il s’agit de données sur les gouttes de pluie. Il y a donc ce véritable problème qui est que les données sur la goutte de pluie concernent la goutte de pluie… mais où est la goutte de pluie elle-même ? Les choses sont bizarrement paradoxales, un peu comme les tricksters des peuples premiers, qui peuvent mentir et dire la vérité en même temps. Cela semble illogique, mais seulement parce que nous cherchons à obéir cette règle appelée « loi de non-contradiction » – de la section Gamma de la Métaphysique d’Aristote –, qui n’a jamais été formellement prouvée. Il existe une certaine logique qui permet aux choses d’être contradictoires et néanmoins véridiques.

Je me base sur cette logique pour affirmer que les choses sont exactement comme elles sont mais jamais comme elles apparaissent. Ce que cela signifie pour les notions de nature et d’écologie est qu’il n’y existe rien de différent sous ces apparences que nous pourrions appeler « nature ». Nous pensons souvent la nature comme quelque chose qui serait là-bas, quelque part – dans mon ADN par exemple, ou quelque part là-haut dans les montagnes, quelque part dans le passé quand nous étions encore « naturels », alors que nous sommes maintenant « artificiels »… C’est toujours plus ou moins « quelque part là-bas », ce qui précisément pose problème, parce que c’est très proche de cette vision de la séparation que nous avons intégrée par défaut dans la culture occidentale. Ce n’est pas juste un concept philosophique – on le voit par dans nos bâtiments : les choses y sont considérées comme des agglomérats d’extensions sans relief, qui sont ensuite décorées, comme on enrobe une confiserie. Et le problème c’est qu’il est assez évident que cette idée est parfaite pour manipuler tout ce que l’on souhaite de la façon dont on le souhaite. L’actualisation de cette idée, qui est l’idée kantienne, c’est que les choses sont des écrans vierges sur lesquels se projettent les désirs – historiques, humains, dasein, multipouvoirs, économiques… Ce qui est probablement pire encore.

Il y a une dimension assez sadique à traiter les choses comme un écran vierge sur lequel on projetterait ses désirs, où l’on pourrait faire ce que l’on veut à tout ce que l’on veut. C’est encore pire chez Hegel, parce qu’il dit que ce fossé entre les phénomènes, les données et les choses réelles n’a lieu que dans l’esprit du sujet. C’est à nous qu’il revient de décider exactement et complètement ce qu’est la réalité. Il n’y a même plus de fossé. L’OOO constitue donc la première philosophie occidentale – dans la lignée de la déconstruction – qui s’aventure dans ces eaux. L’unique dont je peux me revendiquer parce qu’elle seule accorde la même importance aux êtres non-humains qu’aux êtres humains. Elle incarne ainsi la promesse d’une profonde non-violence envers soi-même et les autres êtres. Et souvenez-vous que nous sommes aussi composés de ces êtres non-humains. Se considérer comme intrinsèquement et essentiellement humains, sans bactéries ou ADN mitochondrial, est erroné. Penser ainsi représente déjà un acte de violence.

N’est-il pas étonnant que l’OOO se focalise sur l’objet comme entité indépendante à un moment où tout est censé être incroyablement lié et le devenir encore plus ?

Quand vous dites « objet », pensez à un miroir. Si vous contemplez un miroir, vous y voyez le pire qui puisse arriver à une personne : son objectification. Cela en dit long sur notre idée de ce que sont les objets. Nous pensons qu’ils sont muets, qu’ils n’ont pas de faculté d’action, qu’ils sont statiques, solides, isolés. Ce n’est pas du tout ce que l’OOO affirme. Ce que l’OOO dit vraiment à cet égard, c’est qu’un objet ressemble davantage à un liquide : vous ne pouvez y plonger les mains, vous y accrocher, c’est en permanence en train de nous filer entre les doigts. Rappelez-vous également que l’écosystème, qui est un ensemble de relations entre des créatures différentes, est aussi un objet. Des ensembles de choses peuvent aussi être des objets pour l’OOO. Gaïa est donc un objet, la biosphère est un objet, la relation entre vous et moi est un objet. C’est donc un faux problème : nous ne sommes pas en train d’isoler des choses statiques et solides en affirmant que tout le reste est faux, inexact ou irréel. Ce que nous disons, c’est qu’il s’agit d’une façon de mettre les choses en interrelation sans leur faire violence. Peut-être que tout est interconnecté, mais la vraie question est d’une part de savoir comment, et par ailleurs de connaître la nature de cette interconnexion. Pour moi il s’agit à l’évidence la symbiose – c’est en tous cas le terme utilisé dans les sciences du vivant. Les choses sont interconnectées de manière symbiotique.

La symbiose est une relation épineuse parce qu’il n’est jamais possible de déterminer qui ou quoi vient en tête. Il s’y déroule un jeu d’alliance compliqué entre l’hôte et l’être qui est hébergé. Le mot d’hôte lui-même est intéressant, il vient du latin et pouvait désigner aussi bien un ami qu’un ennemi. Cette ambiguïté fait partie du concept, ce qui a conduit Derrida à écrire dans De l’hospitalité qu’héberger dépend d’une ouverture à ce quelque chose de complètement inconnaissable et différent. Une sorte de futuralité radicalement ouverte. Et c’est en substance ce que nous disons au sujet des objets. Toute chose – un écosystème, un lapin dans un écosystème… – possède une sorte de qualité insaisissable, Derrida dirait une futuralité, qui est difficile à définir précisément. Par exemple la signification d’une pièce de musique ? On ne peut s’y raccrocher, et pourtant cette pièce de musique n’en est pas une autre. Mais en même temps, la forme, l’apparence ou le format, comme vous voulez, sont extrêmement déterminés. Et d’une certaine façon, c’est le passé.

L’architecture moderne avait tendance à considérer les bâtiments comme de beaux objets, des sculptures. Devrions-nous concevoir nos bâtiments davantage comme des organismes vivants, les penser comme des métabolismes au sein d’autres métabolismes, avec des composants vivants et sensibles ?

Je le pense en effet. Nous savons tout d’abord, lorsque nous faisons des bâtiments, que nous devons désormais prévoir le fait qu’ils ne seront pas seulement utilisés par des êtres humains. Des grenouilles vont bondir dessus, de la poussière va s’y déposer, des oiseaux vont s’y écraser. Il s’y passera toutes sortes de choses n’impliquant pas d’êtres humains. Pour concevoir un immeuble il faut aujourd’hui considérer ces êtres non-humains. Parce que d’une certaine manière, ils font déjà partie d’un espace social, et que l’espace social n’a d’ailleurs jamais été complètement humain. D’une certaine façon, c’est cela l’Anthropocène. Un moment où les êtres humains se rendent d’une part compte qu’ils constituent une espèce dans un sens non essentialiste, ce qui n’est ni sympathique ni plaisant, et qui réalisent enfin qu’ils ont des effets non intentionnels sur la planète, qu’ils représentent une force géophysique à l’échelle planétaire. Et d’un autre côté, c’est résolument un moment où les êtres humains – en particulier les blancs patriarcaux occidentaux – doivent finalement admettre qu’il y a d’autres entités sur cette terre à prendre en compte quand ils agissent, par exemple quand ils pensent et conçoivent des œuvres d’art ou des bâtiments.

Attardons-nous sur ce point : comment se fait-il que différentes formes de vie puissent accéder au bâtiment de différentes manières ? Comment se fait-il que cela puisse arriver ? Parce que le bâtiment lui-même est en quelque sorte curieusement en train de se cacher à lui-même en même temps qu’il se révèle à lui-même. Il y a une dynamique interne, peu importe qu’on habite dedans ou qu’on s’installe dessus. Il s’agit, en soi, d’un être frémissant et vibrant sans avoir jamais été poussé. C’est l’hypothèse formulée par l’OOO : toutes les choses sont vivantes par elles-mêmes, sans avoir besoin d’être mécaniquement poussées. Et que la vie est un ainsi un entre-deux frémissant entre deux sortes de mort différentes, la non-existence absolue et le tournoiement mécanique. D’une certaine manière, j’ai l’impression que la notion de mouvement fait partie intégrante de la vision des choses selon l’OOO. Et il y a cette sorte d’entre-deux étrange où se trouve la vie. L’ontologie est l’étude de la manière dont les choses existent. Il ne s’agit pas d’un dogme au sujet de ce qui existe – ça c’est l’affaire des théologiens ou politiciens. L’ontologie s’intéresse à la structure profonde de la manière dont les choses existent. Je dois utiliser beaucoup d’exemples, mais cela ne signifie pas que je pense qu’ils existent vraiment.

Les choses sont en mouvement sans être poussées pour autant, raison pour laquelle nous avons du mouvement, du changement et toutes les autres choses qui se passent avec les bâtiments. Au-delà des processus métaboliques, dans lesquels un échange énergétique se produit, même si une chose est complètement coupée de toute sorte d’échange avec quoi que ce soit d’autre, c’est justement à cet instant précis que la physique observe ce que l’Ontologie Orientée Objet prévoyait qu’il serait observable, à savoir qu’une chose est simultanément en mouvement et immobile, vibration et absence de vibration. Elle est légèrement hors de soi, comme condition de possibilité de son existence. Beaucoup de philosophes humains ont pensé qu’il existait des choses légèrement hors d’elles-mêmes, ces choses s’appelant des êtres humains. Heidegger pense que l’être humain possède cette existence extatique où il est en permanence légèrement hors de soi, en train de dégringoler dans le futur comme un Slinky, ce jouet Américain en forme de ressort à qui l’on peut faire descendre les escaliers comme s’il marchait.

Vous adoptez une approche esthétique principalement poétique et artistique, ce qui constitue un aspect important de l’architecture. Si vous conceviez un bâtiment, vous devriez considérer cette dimension métabolique comme quelque chose de mesurable par des données, de la même manière que l’on peut contrôler la tension artérielle de votre organisme. Cela vous paraît-il entrer en contradiction avec votre poésie ou votre beauté ?

Non, pas du tout. D’ailleurs, assez curieusement, nous avons confiné l’art au sein de l’esthétique, qui est un tout petit domaine de la réalité, alors que nous affirmons que la dimension esthétique est en fait là où se situe la dimension causale. Soulever des choses, les mesurer, s’assurer que le métabolisme fonctionne a donc une dimension esthétique. Cela ne s’en distingue pas. D’ailleurs, la science repose sur la philosophie – Hume et Kant notamment, qui font valoir qu’on ne peut pas enlever comme une épluchure l’apparence de ce qu’est la chose. Et que la causalité n’est pas une sorte de machine sous les apparences. La causalité est à l’avant – nous entendons par à l’avant un à l’avant ontologique, pas un à l’avant mesurable. Et nous appelons cet espace à l’avant des choses la dimension esthétique. C’est là que se trouve la causalité. Il n’y a donc pas de problème à passer d’une interprétation de données extrêmement précise à quelque chose qui ressemble davantage à de l’appréciation esthétique au sens habituel parce que, selon une perspective plus large, il s’agit dans les deux cas de formes d’appréciation esthétique. Nous nous sommes raconté à nous-mêmes que tout était relatif, qu’il n’y avait pas de vérité, alors qu’il me semble que l’on peut être dans le vrai, avoir raison, avoir une mesure précise ; il y a des choses réelles, et elles sont vraiment exactement comme elles sont, on peut les mesurer et il n’y a rien à redire à cela.

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