Représenter la ville invisible

  • Publié le 7 octobre 2021
  • Larissa Fassler

La tendance des smart city réintroduit une vision fonctionnaliste de la ville, produisant toujours plus de data. Mais comment considérer ce qui dans l’urbanité ne se réduit pas à de la donnée chiffrée à optimiser ? Larissa Fassler cherche à rendre visible ce qui fait l’expérience urbaine par des cartographies subjectives et sensibles révélant une ville ignorée.

Impressions de l’éphémère

Mon processus de création consiste à choisir un lieu, à l’arpenter et à y flâner des mois durant, à la manière de Georges Perec dans Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. Je choisis généralement des sites à forte tension sociale, comme la gare du Nord ou la place de la Concorde, ce qui m’invite à abandonner toute idée préconçue d’un lieu. Je préfère que les lieux me racontent eux-mêmes ce qu’ils sont. Je cartographie ainsi la manière dont l’espace influence l’utilisation qui en est faite par ceux qui l’habitent. Je le capture avec mon corps, avec mes émotions, utilisant mes pas comme outil de mesure et annotant les micro-événements que je perçois : une attitude, une odeur, un vêtement de couleur… Je cherche par là à rendre visible ce qui fait l’expérience d’une ville. Je me retrouve donc à composer à la fois avec les outils de la recherche scientifique et de l’architecture, de la collecte de données et de la cartographie, pour recueillir l’éphémère et le banal, de manière à ce qu’ils laissent une trace.

Représenter tous les événements

À Berlin, j’ai pris conscience de la manière dont le présent est influencé par l’Histoire, qui y est comme déposée à la surface de la ville. Mon travail surimpose donc la couche des événements historiques et des grandes tensions urbaines : les traces de la Seconde Guerre mondiale, l’envolée d’Airbnb et la pression immobilière qui en résulte… à celle des expériences quotidiennes individuelles. Ces forces invisibles, immenses ou minuscules, façonnent notre expérience urbaine.

Recartographier l’Histoire

À New York, la place de Columbus Circle est encadrée par deux symboles de puissance : la WarnerMedia, le géant de la télévision, et le Trump International Hotel and Tower, un building résidentiel de luxe. Au centre, trône la statue de Christophe Colomb, qui a suscité en 2017 un vif débat autour de l’idée de son retrait, puisque la figure du navigateur incarne à la fois la découverte de l’Amérique et le génocide des indigènes qui s’en est ensuivi. La question soulevée par une telle polémique est celle de la voix que l’on choisit de donner à l’Histoire et de la manière dont elle raconte nos expériences collectives. J’ai donc replacé ce débat dans un contexte plus large, retraçant les grandes jurisprudences qui ont rythmé l’histoire américaine depuis 1892, date de création de la statue, jusqu’à aujourd’hui, pour révéler la succession des événements progressistes ou réactionnaires qui ont marqué le pays, de façon à exprimer une version alternative de l’Histoire.

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